lundi 24 février 2014

Tonnerre, pour en finir avec Rohmer ?

Guillaume Brac

Guillaume Brac est un réalisateur français né en 1977, diplômé d'HEC puis de la FEMIS en production. Depuis sa sortie de l'école, en 2005, il a réalisé trois films : Le naufragé (2009, court de 23mn), Un monde sans femmes en (2011, moyen métrage de 55mn) et enfin Tonnerre (2014, long métrage de 1h44mn).

Guillaume Brac (gauche) et Vincent Macaigne (droite)

Résumé des trois films 

Le naufragé est un prologue à Un monde sans femmes. Ce sont deux épisodes de la vie de Sylvain, joué par Vincent Macaigne, un habitant de la ville d'Ault, une station balnéaire de la Manche - oui ça existe.

Dans le premier, un cycliste parisien se retrouve coincé pour la nuit à Ault, et passe la soirée avec Sylvain, trentenaire déprimant et sans histoires (d'amour), qui lui fait découvrir une partie de la vie locale. Il accepte à manger, à boire, finit même par dormir chez Sylvain et lui confie ses problèmes existentiels - qu'il résout en bouffant des centaines de kilomètres sur un vélo de course.


Julien Lucas (Le cycliste) et Vincent Macaigne (dans la voiture) dans Le Naufragé

Un monde sans femmes se passe pendant les vacances d'été. Une mère célibataire et sa fille (Constance Rousseau), parisiennes, louent pour une semaine un appartement à Ault. Sylvain, toujours aussi trentenaire, qui gère la location, saisit l'occasion de ce bouleversement de son monde sans femmes et décide de jouer au tour-operateur . De la pêche aux moules à la boîte de nuit, un triangle amoureux émerge au fil de la semaine, troublé par l'irruption d'un ami de Sylvain, un gendarme séducteur.


De gauche à droite : Laure Calamy, Constance Rousseau et Vincent Macaigne dans Un monde sans femmes

Tonnerre (Yonne, la ville où se déroule le récit) raconte l'histoire d'amour de Maxime, le même Vincent Macaigne, rockeur parisien trentenaire qui vient passer deux mois d'hiver chez son père, avec Mélodie (Solène Rigot), une jeune fille du coin. Ils se rencontrent au détour d'une interview - elle bosse pour le journal de Tonnerre, et tombent amoureux après un très beau baiser dans une chapelle des catacombes, dans laquelle le pharmacien tenait des messes noires. Après quelques semaines de bonheur, tout bascule en un week-end, durant lequel Mélodie, complètement duper dans sa life, décide de remettre le couvert avec son ex petit ami footballeur, Ivan, plutôt du genre dîner au Hippo de la zone industrielle. Maxime, normalement mollasson et inoffensif, sombre dans la dépression, et finit par enlever Mélodie des bras d'Ivan, à coups de Magnum 357 et de chloroforme ... et termine en GAV le soir de Noël, sur fond de guitare mélancolique et de paroles simplistes.


Vincent Macaigne (à gauche) et Solène Rigot (à droite) dans Tonnerre


Films de vacances à la Rohmer ?

Les trois films ont de nombreux points communs.
Evidemment la figure de Macaigne, éternel dépressif, maladroit et minaudeur. On retrouve aussi trois grands types de décors, filmés à chaque fois de la même façon :
  • D'abord des intérieurs un peu vieillots, style ado attardé des années 1990 ou parisien réfugié à la campagne : salon ou chambre de Sylvain, maison du père de Maxime avec son étagère IKEA et ses vinyles de Pink Floyd ou Simon & Garfunkel. 
  • Ensuite les extérieurs-ville, Ault ou Tonnerre avec beaucoup de plans très larges et peu de mouvements de caméra, dans lesquels les personnages errent le plus souvent de nuit, parce qu'ils n'arrivent pas à dormir. 
  • Enfin les extérieurs-nature : la plage, la mer, les falaises de la côte d'Opale, la forêt du Morvan, un lac sous la neige, qui sont shootés alternativement en plans d'ensemble, magistraux, et en plans rapprochés très dynamiques, beaucoup plus dynamiques que ce qu'on voit dans les extérieurs ville. La photographie folklorise les lieux : bleu du matin froid de la côte picarde, éclairage jaunâtre des villes de nuit, étrangeté verte de la Fosse-Dionde Tonnerre, Morvan blanc/bleu

Ce sont typiquement des films de vacances, un genre dont Eric Rohmer est le big boss en France (dans la catégorie auteur/mélancolique, on met de côté les Bronzés ou Camping). Dans ces films aux accents naturalistes, rythmés par le téléphone et la voiture, sans fards, on suit l'irruption d'un corps étranger dans un écosystème réduit, clos, où tout le monde se connait et vit les uns sur les autres, entre plages, petits bistrots, restaurants, et la seule boîte de nuit. Le personnage principal s'ennuie, il ne travaille pas, et on n'apprend d'ailleurs presque rien sur sa vie normale.


Melvil Poupaud (gauche) et Amanda Langlet (droite) dans Conte d'été à Saint-Malo

Dans la première partie du film, un ou plusieurs personnages lui font découvrir la vie locale, et deviennent très vite le principal lien entre l'étranger et le monde qui l'entoure. Puis dans la seconde partie du film on se focalise sur les intrigues amoureuses qui apparaissent et finissent par se terminer, mal en général : le corps étranger est finalement rejeté, c'est la fin des vacances. Les lieux où se déroulent ces films de vacances sont nommés et identifiables : l'arrière-pays de St-Tropez pour La Collectionneuse (1967, Rohmer), Saint-Malo pour le Conte d'été (1996, Rohmer), Tonnerre et Ault chez, mais aussi une petite ville du New Jersey dans Garden State (2004, Braff).

L'étranger est seul, ou coincé avec des membres de sa famille chiants, et totalement disponible pour vivre son histoire d'amour. Les éléments de l'intrigue sont assez légers, les amoureux sont choisis, aimés et oubliés sans qu'il n'y ait véritablement de drame, les histoires ne durent que quelques jours (voire encore moins, par exemple dans La Collectionneuse); c'est les vacances quoi.

Cette légèreté du film de vacances est particulièrement marquée dans les films de Rohmer ; les personnages ne pleurent pas, ne font pas l'amour et ne se battent pas à l'écran. Les histoires sont arrosées d'une pluie continue de remarques malignes sur la vie en société, qui finit par la faire ressembler à un très long cocktail mondain, dans lequel il faudrait tout dissimuler. Elles se déroulent dans des endroits simples et magnifiques ; le bord d'un lac, en haut d'une falaise. Face à la beauté brute de la nature (française) et à l'esprit de ces remarques, l'histoire d'amour paraît toute petite : ses protagonistes eux-mêmes ne semblent pas la prendre au sérieux. Comme l'écrit Dominique Marchais dans les Inrocks à propos du Conte d'été (merci Wikipédia), c'est "un traité précis et hilarant sur le décalage entre les mots et les actes". Ce décalage empêche de prendre les actes au sérieux.

Rohmer on steroids

Pourtant, au fil de ses films, Guillaume Brac prend confiance et s'éloigne progressivement des canons du film de vacances légers à la Rohmer, et finit par nous montrer que ces histoires d'amour sont graves et bouleversantes.
La montée en puissance est évidente : d'abord dans la durée de l'incursion du corps étranger : dans le Naufragé, une nuit, dans le Monde sans femmes, une semaine, et dans Tonnerre , il ose rester plusieurs mois. Le final dramatique : dans le premier, une engueulade et une crise de couple silencieuse, dans le second, un coup de poing devant une boîte de nuit, dans le troisième, une filature, puis une scène d’exécution avec gros calibre dans un parking et un kidnapping au chloroforme. L'émotion amoureuse : l'envoi d'un SMS d'amour, puis un baiser et une unique nuit passée ensemble, et enfin dans Tonnerre une relation amoureuse de plusieurs semaines.


Vincent Macaigne dans Tonnerre (séquence finale)

Brac s'éloigne peu à peu de la légèreté du film de vacances pour peindre une histoire d'amour complète, passionnelle, furieuse, et la violence de la déception. La deuxième moitié de Tonnerre est déprimante, voire même effrayante pour le spectateur qui regarde en tremblant la descente aux enfers de Maxime, magistral Macaigne changé du tout au tout par l'incompréhension et le désespoir en meurtrier potentiel.

Le film se termine d'ailleurs dans la ville de Tonnerre, dans le salon où se déroule de nombreuses scènes du film, tandis que le Monde sans femmes se terminait dans le bus qui ramène les Parisiennes chez elles. Beaucoup de scènes de ces films semblent avoir été écrites en pensant à des lieux en particulier, et ces lieux sont associés à des moments de la relation amoureuse. Pourquoi le final se passe-t-il donc à Tonnerre ? Brac veut peut-être nous dire que l'histoire d'amour n'est pas finie, ou plus probablement que si l'arrivée à Tonnerre marque bien le début des amours, quitter Tonnerre ne permettra pas à Maxime d'oublier ; montrer son départ équivaudrait à insinuer qu'il peut oublier. Il dépasse la manie existentialiste qui consiste à associer dans le récit un endroit ou une musique à un état d'esprit du personnage (la dernière scène montre Macaigne chantant avec son père la même chanson qu'il travaille dans la première scène). Le personnage a profondément changé, et le retrouver dans le même lieu, avec la même musique accentue encore la violence de ce bouleversement.


Scène finale de Tonnerre, dans le salon du père de Maxime

Scène finale d'Un monde sans femmes, dans le bus

Bravo donc à Guillaume Brac d'oser faire un film aussi touchant, drôle puis vraiment triste, profondément humain, et qui ne prend pas à la légère la détresse amoureuse de ses personnages, avec un scénario très bien développé, sans lourdeur, sensible, des acteurs très justes et une mise en scène toujours au top.






mardi 21 janvier 2014

Mon parcours préféré du dimanche soir

Aller à la séance de 22 heures au cinéma l'Escurial boulevard du Port-Royal, puis au McDonald's en sortant, attraper un des derniers métros et regarder un autre film en rentrant.














Une des premières fois que j'ai fait le parcours préféré, j'ai vu TWIXT de Coppola. Un film incroyable qui a pourtant pas eu (je crois) beaucoup de succès. Dommage.

Présentation du blog

Le dimanche soir, impossible d'échapper à la déprime, à part en allant au cinéma, ou à la limite en regardant un film à la maison. Le blog porte ce nom la car il parlera de films.